Arrivée d'Anthoyne.

Angoissé... Le terme est correct voire même peut-être pas assez expressif pour décrire l'état d'Anthoyne. Il allait rencontrer les parents de Blanche. Il avait déjà vu la Duchesse et discuté un peu avec elle mais la situation allait être complètement différent qu'une simple discussion en taverne. Quant au Duc, il l'avait entraperçu une ou deux fois mais ne connaissait pas du tout le caractère du personnage.

Le jeune homme arriva enfin devant le pont levis, ce court trajet lui parut interminable. Il expira fortement une dernière fois et c'est la boule au ventre qu'il approcha et s'adressa aux gardes. Il haussa le sourcil reconnaissant les gardes et se demandant si ils sont là jour et nuit.

Demat ! Je suis Anthoyne... D'un voix plus basse à lui-même. Enfin vous le savez.

L'ancien maire reprit.

Je dois rencontrer sa Grâce, le Duc Mériadoc de Walsh de Serrant et son épouse la Duchesse Lusiana. Pouvez-vous annoncer ma venue?... S'il vous plait.

Est-ce que le "S'il vous plait" n'était pas de trop ? Après tout, ce sont des gardes, ils obéissent aux ordres et l'un deux doit sûrement de prévenir leur maître de l'arriver d'un visiteur. Cette tension lui faisait perdre vraiment ces moyens, il devait se reprendre avant la rencontre.

Prunelles axées sur son ouvrage, l'index enroulé autour d'un fil souple, Blanche attendait patiemment dans sa chambre que la journée avance. Depuis quelques temps, elle n'avait plus goût à rien, préoccupée par une angoisse intense qui l'obnubilait du matin au soir. Elle avait donc décidé de se remettre à la broderie, pour correspondre un peu plus à l'image parfaite de la jeune fille bien éduquée ; Se piquer les doigts avait, en plus, l'avantage de lui faire penser à autre chose qu'à son anxiété quotidienne, et c'était idéal.

Une porte s'ouvrit, elle redressa la tête, espérant que les friandises qu'elle avait demandées lui soient apportées. Mais à la place de la silhouette bedonnante de sa bonniche, c'est un valet droit comme un "i" qui s'avança devant elle. Il n'était pas digne d'intérêt, ses yeux se reposèrent sur son mouchoir inachevé.

Je viens vous prévenir de l'arrivée d'un visiteur, Damoiselle de Walsh. Il s'est présenté afin de rencontrer vos parents.

Brusque mouvement de lassitude, Blanche n'en avait rien à faire. Un visiteur, et alors ? Aucune envie d'en entendre parler ! Si ce n'est pas lui, elle s'en fiche tout bonnement.
Au bénéfice du doute, elle se permit de demander l'identité de l'inconnu.

Sieur Anthoyne, répondit il simplement.

Son cœur se serra, et dans un mouvement incontrôlé, l'aiguille vint se piquer dans son index rosé. Une goutte perla, et alla mourir sur son mouchoir blanc, auréolant les lettres brodées d'une tâche sombre.

Bien, laissez moi maintenant.

Il sortit, elle se leva. Agitée, fébrile, elle malmena la pièce de soie avant de la jeter au sol et de faire les cents pas dans sa chambre. Respiration saccadée, entravée par son corset qui l'étouffait. Près de l'âtre gisait le carré blanc ; et la majuscule inachevée, petit A entourant le B, luisait faiblement. Désormais, il lui fallait attendre.

Attablé dans son bureau, occupé à compulser un ouvrage d'héraldique, le Duc était plongé dans ses livres lorsqu'on frappa à la porte.

Entrez...

Un garde pénétra timidement dans le bureau

Je vous écoute

Un homme du nom d'Anthoyne demande à être reçu votre Grâce.

Le Duc referma son livre.

Fort bien, je vais le recevoir, faites-le venir ici.

Puis il rangea les différents ouvrages jonchant son bureau.

La curiosité est un vilain, très vilain défaut. Mais bon voilà, il y a des choses dans la vie qu'on ne peut changer, et ce trait fort peu flatteur de la blondinette en faisait partie. Armée d'une oreille alerte, elle descendit quatre à quatre les marches, déboulant juste devant la porte donnant sur la pièce où visiblement, on hypothétique futur époux s'entretenait avec son père. Grâce à Dieu, la lourde porte massive était close, et elle put y accoler son pavillon pâle. Chevelure maintenue en arrière par une interminable tresse, pendant à son dos sur un doux mouvement de houle ; surprenante vision que la dernière née du château, qui en hôtesse peu polie épiait ses invités par le loquet de la porte.

Mais qu'est ce qu'ils racontent ?

Eh oui. L'inconvénient, avec les portes, c'est que peu de bruits passent à travers. Et peu habituée à lire sur les lèvres, elle commençait à paniquer de ne pouvoir suivre l'évolution d'une conversation dont l'enjeu était de taille.
On parlait d'elle, assurément. Elle avait, clairement, compris son nom prononcé par les lèvres si douces de l'ancien bourgmestre. Un autre, non moins attendu, qui résonnait encore à ses oreilles. "Proposé"... Proposé quoi, au juste ? Une petite risette perçant à la commissure de ses lèvres, elle commençait à croire à l'impossible. Oui, oui, OUI ! Merveilleux, épatant, étonnant, prodigieux... Était-ce là, juste devant ses yeux, l'incroyable demande qui allait être faite ? Qui avait été faite ?
Trépignant d'impatience, elle colla à nouveau une oreille attentive sur le bois dur, le sang battant à ses tempes. "Autorisation" ! Au comble du bonheur, elle affichait un sourire des plus heureux. Miracle ! Il avait dit oui. Bien loin d'elle, l'idée que ce ne soit pas d'une union qu'il parle. Et que ce ne soit pas son père, qui ait répondu par l'affirmative à une question posée.